Juillet 2001

Circoncision: le cas suédois.
Une législation à l'essai.

Juillet 01, 21 Tamouz 5761
L'exposé des faits
Commentaire d'Aharon

Réaction de la communauté suédoise

Il se pratique en Suède moins d'une centaine de circoncisions au sein de la communauté juive, et quelques 3000 au sein de la communauté musulmane. Ces circoncisions sont effectuées par des Mohalim pour la communauté juive, par des imams pour la communauté musulmane, mais aussi par des médecins, qualifiés ou non pour cette intervention.
Il est à noter que les mutilations génitales féminines ("excisions") sont interdites en Suède.
Une circoncision pratiquée en Août 99 sur un enfant de trois ans, par un médecin agréé pour cette intervention et ayant pratiqué lui même l'anesthésie à son cabinet s'est soldée par la mort de l'enfant.. Le praticien a été accusé de négligence par le procureur qui estime qu'il a administré une dose anesthésique cinq fois trop forte.
En Mars 2000, un père en cours de divorce est mis en accusation pour avoir fait circoncire son fils sans le consentement de la maman. L'intervention avait été faite par un médecin, au domicile du père.
En mai 2000, le Défenseur des Enfants (Children's Ombudsman) propose une loi interdisant la circoncision des enfants sans but thérapeutique, "dans le meilleur intérêt des enfants". A la réponse du gouvernement qui propose que les circoncisions faites par des non médecins ne soient faites que par des "praticiens" ayant reçu un agrément, le médiateur insiste pour que seuls les médecins soient autorisés à pratiquer des circoncisions non thérapeutiques, en milieu médical et sous contrôle de la douleur.
En mars 2001, le gouvernement dépose un projet de loi visant à réglementer la pratique de la circoncision non thérapeutique en Suède, débattu en mai par une commission du Ministère de la Santé, après audition des représentants des communautés concernées et de divers intervenants en matière de politique sanitaire et sociale. La loi est adoptée en juin par le Parlement.
Les grandes lignes en sont:
L'obligation de passer par un médecin, quelque soit sa qualification. Seules les circoncisions pratiquées sur un nourrisson de moins de deux mois peuvent être effectuées par un non médecin, habilité à cet effet dans des conditions qui restent à déterminer après vérification de ses connaissances.
L'obligation d'un contrôle de la douleur, pour lequel seuls médecins ou infirmières sont habilités à délivrer un analgésique.
L'obligation de l'accord des deux parents ou des tuteurs de l'enfant, et son propre accord lorsqu'il est en âge d'exprimer un avis.
Il est demandé au gouvernement de faire établir un rapport sur la pratique des circoncisions en Suède au terme de quatre années d'application de la loi, qui prend effet en Octobre 2001.

Lors des travaux de la commission, il a été pris note
Concernant l'opérateur
Qu'il n'y a aucune raison d'interdire une circoncision faite en dehors d'une structure médicale.
Qu'aucun incident n'est survenu lors des circoncisions pratiquées dans les conditions de pratique de la communauté juive.
Qu'il faudrait des raisons très fortes pour édicter une loi qui restreindrait le libre exercice de la religion, et qu'aucun événement ne pousse à le faire.
Que plusieurs experts en chirurgie infantile ont convenu que les Mohalim sont le plus souvent très compétents dans leur pratique.
Qu'il y a donc lieu à autoriser la poursuite des circoncisions néonatales par les opérateurs se réclamant des communautés où elle est traditionnelle, et ayant fait la preuve de leurs connaissances et leurs compétences.
Que la pratique de la circoncision est aisée chez le très jeune, et qu'elle se fait le plus souvent avant que l'enfant n'ait deux mois, limite d'âge qui est adoptée pour la pratique par un opérateur traditionnel.

Concernant l'analgésie
Il est estimé que les nourrissons ressentent la douleur au même titre que les adultes.
Il est pris note qu'en milieu hospitalier est pratiqué une analgésie, par pommade et par injection locale pour les tout petits, par anesthésie générale chez les plus grands.
Qu'il ne revient pas à la loi de fixer les modalités analgésiques qui doivent accompagner la circoncision mais que ceci doit être fixé par décret ministériel.
Il est estimé par la commission que l'application locale d'anesthésique est insuffisante pour assurer une analgésie parfaite, et que l'absence d'analgésie pour les enfants de moins de deux mois représente une "perte de chance" ou une inégalité pour ces enfants.
Il a été noté que les représentants de la communauté juive ont déclaré que l'administration d'un analgésique par un membre du corps médical n'est pas interdite par la religion. (sic).

Concernant le consentement de l'enfant
Il est noté qu'une circoncision non thérapeutique ne peut être pratiquée qu'avec le consentement des deux parents ou des représentants légaux, et éventuellement le consentement de l'enfant s'il a atteint l'âge de la maturité. Il n'a pas été convenu de façon définitive quelle est la limite d'âge qui pourrait être retenue à cet effet.

Concernant le contrôle des opérateurs non médecins habilitée à pratiquer la circoncision.
(…)

Concernant le remboursement du coût
Il est noté que diverses prises en charge existent déjà, en fonction des règlements propres à chaque district, lorsque la circoncision est effectuée en milieu médical. Il est noté que le poids financier d'une telle intervention est la raison pour laquelle certains parents se tournent vers des intervenants non qualifiés (non médecins, ou médecins bricolant une circoncision sur une table de cuisine). S'il est noté que l'intervention ne devrait pas donner lieu à un remboursement puisque non thérapeutique, il est pris en compte le "meilleur intérêt de l'enfant" et la notion d'équité qui plaident en faveur d'une prise en charge.

Concernant le suivi de l'application de la loi.
Une motion a été déposée, stipulant que malgré l'amélioration apportée à la sécurité des enfants par cette loi, la loi ne devrait être que provisoire, pour permettre un débat public sur la circoncision, sa compatibilité (ou plutôt son incompatibilité) avec la Convention de l'ONU sur les droits des enfants et sur le libre exercice des convictions religieuses et des cultes définis par le préambule de cette convention.
Il est suggéré qu'un bilan d'application de cette loi soit fait au terme de quatre années, et que ce bilan soit comparé avec une revue de la situation dans d'autres pays.


Réflexions d'Aharon.
Il est étrange que le débat sur la douleur lors des circoncisions aient commencé en Suède. Non tant parce que c'est là bas qu'a été mise au point la première anesthésie locale en pommade (laboratoire Astra), mais surtout par le fait que la circoncision y est peu répandue. Si l'on estime qu'une centaine de circoncisions s'y pratiquent chaque année dans la communauté juive, il y en a bien plus en Angleterre, en Belgique et surtout en France.
Peut être sont ce les incidents médicaux et légaux cités plus haut qui ont attiré l'attention des autorités suédoises et réveillé les velléités abolitionnistes de certains, préparées de longue date lors de divers congrès internationaux des militants anti circoncision.
Il est utile d'analyser le contexte et les conséquences de la promulgation de cette loi.
Concernant l'opérateur.
Les parlementaires se sont refusés, malgré certaines pressions à interdire la circoncision non thérapeutique. Ceci semble la moindre des choses dans des pays où il est admis qu'une femme puisse accéder à des interruptions de grossesses non thérapeutiques, voire qu'un jeune fille puisse y accéder sans l'autorisation de ses parents.
En autorisant la pratique non médicale de la circoncision, les parlementaires ont montré que leur but n'est pas d'atteindre à la sensibilité religieuse de la communauté juive, mais bien de garantir la sécurité des enfants.
S'il est vrai que la majorité de nos nourrissons sont circoncis avant l'âge de deux mois, il me semble que la capacité d'un Mohel s'étend un peu plus loin. Lors de diverses réunions de Mohalim à Paris, il avait été constaté que les Mohalim pouvaient circoncire jusque vers quatre et même six mois sans avoir recours à une structure hospitalière, (j'entends assistance anesthésique, électrocoagulation). Au delà, les limites se posent devant la sensibilité des l'enfant, mais aussi des parents ou des assistants, le poids de l'enfant et la difficulté à maintenir une position de travail en toute sécurité.
Il est légitime qu'un pays cherche à savoir qui fait quoi, et comment.
La question de la qualification des Mohalim est posée. Il existe, ou a existé, en Angleterre une "école de Brit Milah", qui au terme d'un cycle court d'enseignement théorique "médical" et religieux permet d'accéder à un stage de pratique de circoncisions en milieu hospitalier, puis à un diplôme qualifiant et reconnu. De tels stages existent aussi en Israël, dont je ne sais s'ils sont validés ou reconnus par une autorité civile. Ce sont de tels stages extra muros qui ont permis à nombre de Mohalim hexagonaux de rentrer au pays avec un diplôme de Mohel en poche.
S'il a toujours été d'usage dans les communautés qu'un Mohel ne puisse exercer qu'après accord des autorités rabbiniques locales, il reste qu'aucune autorité rabbinique en France se mêle de ceci depuis plusieurs décades. Il est vrai qu'au 19ème siècle, l'autorité rabbinique a eu une politique interventionniste frileuse et à contre courant, et qu'un retour de cette politique serait mal vécue. (Consulter le livre "Rites de naissance dans le Judaïsme", Patricia Hidiroglu, Editions Belles Lettres, et notre page
De la succion dans la circoncision .)
A noter qu'il n'est pas clair dans les documents reçus qu'une famille puisse faire venir un Mohel de l'étranger, médecin ou non.


Concernant l'analgésie
Une remarque préliminaire: il est étonnant que les représentants de la communauté juive n'aient pas trouvé d'objection à la pratique d'une analgésie par un observateur étranger à la cérémonie, selon les termes rapportés par la commission préalalbe. Il est évident que l'application d'une pommade ou l'injection anesthésique préalable à une Milah est interdite Chabbat et les jours de fête, et entraînerait de plus diverses violations du Chabbat. A ce titre cela constituerait une entrave au libre exercice du culte.
Hors Chabbat, l'application de pommade anesthésique ou l'administration d'antalgiques (sérum sucré, paracétamol …) ne semble pas poser de problèmes.
Par contre, le recours à une anesthésie injectable, inhalée, l'administration de sédatifs, même par un membre du corps médical, me semble par contre gravement … aggraver le déroulement de la circoncision. Les risques médicaux liés à une injection anesthésique, même locale, à l'administration de sédatifs, même par voie orale me semblent majeurs, et sans commune mesure avec le bénéfice escompté pour le déroulement d'une circoncision rituelle.
Il faut noter qu'une démarche impliquant une anesthésie de contact préparant une anesthésie injectable aurait été impossible il y a dix ans, et que la seule anesthésie injectable aurait été cause d'une douleur et d'un rallongement du temps opératoire. Malgré l'apparente innocuité du procédé, je me demande s'il n'est pas urgent de patienter avant d'imposer par voie légale l'usage d'un médicament si récent.
On notera par ailleurs que l'incident mortel rappelé plus haut s'est déroulé après administration d'anesthésie par un membre du corps médical. Que le seul décès lié à une circoncision non thérapeutique en France s'est passé sous surveillance médicale, dans un hôpital public.
Il semble donc que sur ce point, les parlementaires suédois ont tranché sans réellement connaître le sujet. Pratiquement aucune "étude" ou publication médicale ne s'est intéressé à ma connaissance à la pratique de la Brit Milah traditionnelle, en dehors d'une
étude personnelle concernant la relation entre poids de naissance et circoncision au huitième jour. Il serait souhaitable que de telles études soient menées dans les mois et années à venir, tout comme la réalisation d'un film sur la Brit Milah à partir d'enregistrements familiaux et d'interviews de spécialistes, voire de personnalités politiques ou intellectuelles ayant assisté à des circoncisions, à la façon des témoignages de Montaigne et Platter rapportés dans ce site..


action de la communauté suédoise

La communauté juive publie un avis bien tranché sur son site
http://www.jf-stockholm.org/britmila/eng et une version light en français
Avant tout elle tient à souligner que la circoncision telle que pratiquée dans la communauté juive n'est pas dangereuse. Il est totalement étranger à la religion juive d'exposer des enfants, juifs comme non juifs, à un danger ou à des mauvais traitements.
Toute atteinte au libre exercice de la circoncision telle que pratiquée depuis plus de trois millénaires de tradition juive serait considéré comme une tentative de mise au pas d'une petite communauté isolée et vulnérable, malgré plus de deux siècles de présence organisée et reconnue en Suède.
A long terme, le maintien de la loi dans ses termes actuels pourrait signer la fin à court terme de la présence juive en Suède.
Enfin la communauté juive considère qu'il n'appartient pas à la société civile suédoise de dire aux Juifs ce qu'ils doivent faire. Toute liberté est reconnue aux agitateurs d'opinion de jouer l'uniformisation des cultures en Suède, mais il est scandaleux que le Parlement Suédois qui vient de reconnaître la communauté juive comme une minorité nationale suédoise s'arroge le droit de restreindre les droits de cette minorité.
On note qu'il est peu reluquant pour un membre du corps médical de venir administrer une solution sucrée ou une pommade anesthésique, alors que les médecins ont autre chose à faire. D'autant que la Brit Milah doit se dérouler durant le jour, avant le coucher du soleil, et que les médecins ont d'autres priorités. On ne sait encore sur quels arguments un médecin acceptera de se déplacer un dimanche ou jour férié, ni sur quelles bases une telle prestation sera honorée, ni par qui.
Il est encore souligné que dans l'esprit de certains parlementaires cette loi qui n'est que provisoire doit ouvrir la voie à un "dialogue" ou une "réflexion" qui devrait aboutir à la suppression de la Brit Milah en Suède.
Qu'une telle loi est la première tentative de restreindre la liberté du culte juif depuis la fin de l'ère nazie.
Quand à la référence à l'interdiction des mutilations sexuelles, des atteinte à l'intégrité physique de l'enfant, etc. il est noté qu'on parle de mutilation lorsqu'il est porté atteinte au bon fonctionnement d'un membre, ce qui n'est pas le cas, nombre de publications internationales en témoignant.
Repousser la circoncision jusqu'à l'âge "de maturité" ne pourrait être que la cause de souffrances supplémentaires, car tous comprennent que la circoncision est plus pénible avec l'âge.
Il est souligné par divers intervenants que la Suède est le seul pays de la Communauté Européenne où l'abattage rituel est interdit, et que la communauté juive a commis l'erreur de ne pas lutter contre cette loi. Tout comme pour la Brit Milah (dont la loi a été votée sans référence à des études scientifiques), cette loi avait été édictée sans qu'aucune étude scientifique prouve que l'abattage rituel est plus douloureux qu'un autre, notamment que la chasse. Ces images sont peu compatibles avec la tolérance des minorités dont se vante la Suède.

contacter Aharon Altabé
www.milah.fr